dimanche 22 mars 2015

Un Amazigh en Ukraine

RECIT DE VOYAGE
Première Partie
2 février 2014, Kiev, Ukraine
Je m'appelle Boris Kazakov et j'ai dix-neuf ans. Ici, la vie est dure. Non seulement les conditions de vie sont exécrables, mais les emplois sont précaires et les salaires faibles. Moi, j'ai un travail mais je ne gagne pas assez pour nourrir mes parents, qui se font vieux, et payer les études de mes deux jeunes frères qui eux, au contraire sont trop jeunes pour m'aider à subvenir à nos besoins. J'ai aussi une passion qui est d'écrire. Malheureusement, comment pratiquer sa passion quand l'on vit dans de pareilles conditions ? J'arrive parfois à écrire quelques lignes le soir, mais le sommeil et la fatigue finissent toujours par m'achever.

Deuxième partie
3 Mars 2014, Kiev Ukraine
Le temps s'adoucit, mais la grisaille revient tout de même car en retournant du travail pour vaquer à mes occupations habituelles, je découvre mes parents le visage baigné de larmes:
- Qu'avez vous? Vite, dites moi avant que je ne m'inquiète d'avantage ! Quelle est la raison de tout ce tracas, moi qui ne vous vois jamais pleurer ou vous plaindre?
- Je vais te le dire, me dit ma mère, Ce sont tes frères.
- Quoi ? Ils ont fait quelque chose de grave?
- Ils sont morts, me répond sombrement, entre deux sanglots, une mine.
- Nous avons aussi voulu te dire autre chose, continue mon père, et il me tend une enveloppe mais quand je veux la prendre, ils sont soudain touchés par deux balles d'un tireur d'élite qui essaie de me tuer. J'arrive à peine à me réfugier dans un bâtiment en ruine. Quelques heures après ce drame, je reprends mes sens, ouvre l'enveloppe et y trouve une liasse de billets neufs accompagnée d'une feuille pliée en trois. J'ouvre alors la feuille et lis:
"M. Kazakov,
Nous avons découvert que les séparatistes pro-russes en voulaient après votre fils, car en fouillant dans ses affaires (ce qu'ils font souvent), ils ont découvert des écrits qui, en étant publiés, soulèverait une révolte et stopperait leur avancée. C'est pour cela que nous vous proposons un accord : Votre fils devra se rendre à Odessa au sud de la Crimée pour émigrer en Europe de l'ouest. Une liasse de billets d'une valeur de cinq mille euros est déjà à sa disposition pour le transport et les vivres. D'autres informations lui seront communiquées sur place. Il voyagera avec d'autres clandestins pour ne pas attirer l'attention. En cas d'accord, veuillez lui remettre cette lettre."

Troisième Partie
Après avoir lu la lettre, il s'empressa d'aller à son habitation pour chercher habits, couverture et toutes les choses nécessaires pour un long voyage. Sa maison était un hangar abandonné d'une ancienne caserne de l'ère soviétique. Le bâtiment était un petit édifice de dix-sept mètres de long sur neuf de large. La taule dont il était constitué était entièrement rongée par la rouille. Il quitta cet endroit où il était né, où il avait grandi sans regret et avec confiance car il savait que c'était une nouvelle vie qui se présentait à lui et qu'il avait besoin de toute son assurance et de sa dextérité pour prendre des choix difficiles ; en somme, aucun sentiment ne devait le perturber, surtout pas la peur et il avait justement écrit une phrase ou deux à ce sujet dans ses carnet. Après cette réflexion, il conclut que prendre un transport en commun serait la meilleure éventualité. Il partit tout d'abord à la banque pour échanger ses Euros avec des Roubles, ensuite il se dirigea vers la gare routière et acheta un ticket de car pour la ville d'Odessa. Ensuite, profitant de l'heure qui lui restait avant le départ du bus, il acheta en nourriture de quoi tenir trois jours minimum.
Cela faisait déjà trois heures que le car était parti et qu'il ruminait dans sa tête ces questions, trois questions effrayantes :
"Est-ce que ça va réussir ? Ai-je pris le bon choix ? Vais-je m'en sortir?".
La voix du conducteur vint alors brutalement le sortir de sa rêverie:
"Arrivée à la gare routière d'Odessa dans cinq minutes"
Il sort du bus quand un individu grand et mince lui dit :
- Donne-moi deux cent Euros de l'enveloppe tout de suite.
- Quels Euros ? De quelle enveloppe parlez-vous ?
- Ne fais pas l'idiot, lui rétorque-t-il d'une voix glaciale L'enveloppe que l'on a envoyée à ton père lorsque vous étiez à Kiev. M. Kazakov, je crois, continue-t-il d'un ton qui se voulait plus aimable."
Il a pris la précaution de lui demander plus de précisions sur l'argent dont il parle car il craignait qu'il ait juste entendu parler de lui, un blond aux yeux verts et de taille moyenne venant de Kiev et amenant sur lui une importante somme d'argent en Euros.
Il l'entraîne alors dans une petite ruelle et lui dit rapidement : "Rendez-vous demain à trois heures du matin à l'aérodrome"
Il part alors directement dans un cybercafé pour chercher sur internet l'emplacement approximatif de l'aérodrome et il imprime une petite carte d'Odessa et de ses environs.  

Quatrième partie
4 Mars 2014 Environ d'Odessa, Ukraine
Je suis avec d'autres clandestins dans un grand hangar. Il règne une ambiance sombre et silencieuse. Tout le monde est perplexe à l'idée du prochain départ. Soudain, une personne s'élève dans la foule :
"Ecoutez-moi ! Nous sommes venus ici pour faire diversion. En vous voyant partir pour l'aérodrome, la police croit que nous allons voyager par avion avec de faux papiers. Nous allons au contraire s'éloigner de la ville tout d'abord par la voie terrestre puis par la mer pour arriver enfin en Turquie, à Istanbul. Ceux qui voudront continuer devront payer plus ou partir seuls"
C'est ainsi que s'acheva le discours du passeur. Nous nous répartissons donc en trois groupes et nous entrons dans trois fourgons malodorants qui n'ont manifestement pas été nettoyés depuis très longtemps.
"C'est bon, c'est fait. Tu ne peux plus revenir en arrière. La mer va te tuer. Tu as pris des risques insensés et maintenant tu vas payer."
Ces mots résonnent dans ma tête comme un bourdonnement incessant. Nous sommes une trentaine sur un ancien yacht des années soixante dont l'état est vraiment inquiétant. On vient de nous annoncer que l'on part pour l'Italie, L'Italie ! Tout l'équipage est excité et nerveux ce qui fait que des bagarres éclataient souvent. Je sens mon estomac se nouer dès la prononciation de ce mot. Mais moi, je prends le chef de l'équipage en aparté et lui dis :
"Partir en Italie est beaucoup trop dangereux. Ce n'était pas stipulé dans l'accord. Nous mourrons sûrement de faim ou par manque de carburant.
- Ceci ne regarde que moi, se borne-t-il à me répondre sèchement,
- Que vous ! Nous risquons nos vies dans ce voyage.
- Nous allons nous arrêter à Istanbul. C'est simple. Il fallait juste y penser. Il faut réfléchir avant de poser des questions inutiles."
Le mal de mer commence à ce faire sentir. Les vomissements dégagent des odeurs fétides qui donnent elles-mêmes la nausée. De plus, l'anxiété donne des ulcères très douloureux et le manque d'hygiène donne des maladies contagieuses. Nous arrivons enfin à Istanbul où nous achetons des vivres, du carburant et des médicaments.
Deux jours plus tard
L'homme qui avait la meilleure vue d'entre nous avait été posté en vigie. Son quotidien était morne et monotone mais un jour, il s'écria ivre de joie : "TERRE ! TERRE ! ". Nous nous approchons encore un peu de la plage que toutes les personnes qui occupaient notre esquif guettaient. Elles se jettent à l'eau, y compris moi.

Après tout ce voyage mouvementé, j'arrive enfin à mon but.


Moutie Med Ali

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